Métal
Éléments structurels métalliques
Perspectives
Le fer forgé peut être utilisé aussi bien pour restaurer des constructions que pour en réaliser de nouvelles.
En Crète, lieu de riche patrimoine architectural, il est indispensable de réhabiliter aussi bien les bâtiments du centre historique des villes, que les différents monuments (châteaux, villas vénitiennes, églises, monastères etc.). Des raisons esthétiques, historiques et financières concourent pour que soient sauvegardés les spécimens vivants de la tradition architecturale. Ces édifices du passé révèlent la «couleur» de leur temps, l’histoire et la civilisation de l’île, tout en fonctionnant comme un point de départ pour de nouvelles créations remarquables, d’un grand intérêt pour les habitants comme pour les visiteurs. Mais il existe une raison plus profonde pour les protéger : restaurer la relation des habitants avec la ville et son histoire, relation qui s’est perdue, dans tout l’espace hellénique, avec la destruction implacable de multiples spécimens architecturaux du passé.
D’ailleurs, la restauration et la réhabilitation de ces bâtiments contribueraient sans doute à résoudre, et à moindres frais, des problèmes plus pratiques, comme celui du logement.
Les objets en fer forgé, aussi bien les pièces des huisseries que les grilles et les balustrades de balcons, répondaient aux nécessités de construction et aux tendances architecturales d’autres époques : proposer d’en généraliser aujourd’hui l’usage n’aurait donc aucun sens. Les gonds de type «maskoula », les loquets «zembérédès», les serrures, les barres de sécurité (kontomiria) ont été remplacés dans les portes modernes par des mécanismes bien plus sûrs et bien plus fonctionnels. Aussi ne conseillerons-nous pas leur emploi dans les nouvelles constructions. En revanche, nous proposons que soient utilisées, pour les portes et fenêtres de bâtiments à restaurer, des pièces exactement de mêmes formes, dimensions et fonctionnement. Elles devront être travaillées à l’ancienne, si l’on veut obtenir un bon résultat.
À notre avis, les kerkélia constituent pourtant une exception : ils peuvent servir de poignée de porte dans toute construction moderne, soit sous leur forme traditionnelle, soit sous une forme inspirée des motifs présentés ci-dessus.
Quant aux fers forgés des grilles et des balcons, qui constituent de remarquables exemples de styles architecturaux du passé, ils peuvent être utilisés si l’on y met toute la prudence nécessaire.
Pour les bâtiments du centre historique des villes ou des agglomérations rurales qui ont été classés monuments historiques, il est indispensable que ces ferronneries soient reproduites et restituées fidèlement. Les fers forgés fabriqués avec une technologie moderne (soudure à l’oxygène) ne sauraient pour nous remplacer les anciens, car les clous (pertsinia) et les fixations (dessiès) constituent une partie de la composition extrêmement importante. Comme la nouvelle technologie les élimine, il manquera donc quelque chose au résultat final.
Il est important de conserver toutes les proportions et les sections du fer. Dans des travaux de restauration, une simple approximation donne à notre avis de médiocres résultats.
Plus généralement, tous ces éléments architecturaux constituant une partie de notre patrimoine culturel peuvent être riches d’enseignement, offrir une source d’inspiration et servir de référence pour de nouvelles créations. Cependant, loin de donner du caractère aux constructions modernes des villes et des villages, copier, comme on le fait ces dernières années, certains motifs à une autre échelle et en utilisant d’autres procédés de fabrication, ne fait qu’abâtardir sottement l’environnement.
La maison traditionnelle crétoise, les bâtiments urbains de la Renaissance et même les édifices néoclassiques plus récents expriment une idéologie, une conception d’ensemble, à la fois fonctionnelle et esthétique, autrement dit, une manière de résoudre un problème de typologie et de morphologie, chaque fois différent, chaque fois conditionné par les besoins de la vie inhérents à une époque donnée de l’histoire.
Il est donc absurde d’associer aujourd’hui un aménagement contemporain standard à une façade où l’on a greffé arbitrairement des éléments empruntés à l’architecture traditionnelle.
Dans les années 20 est apparue en architecture une tendance à revenir aux sources, qui devait un peu plus tard influencer le courant moderniste, en Grèce également. Ses pionniers (A. Zahos, D. Pikionis) avaient pour buts de rechercher, étudier, assimiler l’architecture populaire pour s’en inspirer dans de nouvelles compositions. À juste titre, car nous sommes nous aussi certains que le legs des simples artisans d’autrefois, maîtres ébénistes et forgerons, revêt une importance considérable.
Bien sûr, dès que l’on commencera à réhabiliter des logements abandonnés ou à restaurer des monuments en ruine -qu’il s’agisse de villas ou de forteresses vénitiennes- on verra immédiatement se développer une demande de matériaux de construction en fer forgé. Il est impératif qu’ils soient fabriqués à l’ancienne. Il faut donc veiller à sauvegarder les ateliers existants et surtout à en créer de nouveaux qui se spécialiseront dans la production de ces objets. La nouvelle génération doit absolument apprendre l’art traditionnel des forgerons et des dinandiers, pour pouvoir prendre la relève. Les jeunes trouveront ainsi du travail, non seulement dans le domaine de la restauration, mais dans celui de la construction de nouveaux bâtiments, pour lesquels les architectes proposent désormais des ferronneries, d’inspiration soit traditionnelle, soit contemporaine, nécessitant le savoir-faire des forgerons.
Dans les villages et dans les villes de Crète, on rencontre encore aujourd’hui, certes en tout petit nombre, des ateliers traditionnels où les artisans continuent à peiner de longues heures devant leur feu et à forger sur l’enclume le métal incandescent, afin de fabriquer des outils agricoles ou des objets nécessaires aux chantiers de construction. La technologie y est parfois entrée, sans entraîner toujours pour autant une baisse de qualité de l’objet. Le soufflet de l’assistant du forgeron est ainsi devenu électrique, si l’on utilise toujours des charbons. Et l’on trouve dans le commerce des appareils sophistiqués permettant de contrôler parfaitement la quantité d’air dégagée et, par conséquent, la flamme.
Nous avons constaté que de nombreux forgerons, alors qu’ils le pourraient, ne fabriquent pas d’objets exigeant un deuxième marteleur : autrement dit, ils refusent certaines commandes qui impliqueraient la présence d’un ou de deux assistants. Leur travail n’est en général pas suffisant pour nécessiter de l’aide en permanence, mais quand ils en ont besoin, il est difficile d’en trouver.
Certaines entreprises de ferronnerie préfabriquée utilisent des appareils électriques facilitant le travail du métal.
Pour répondre à la demande, les ateliers traditionnels importent de plus en plus d’outils d’appoint électriques (vrilles, instruments de soudure etc.) dans le processus de production. Nous avons suivi la fabrication de plusieurs objets combinant technique à l’ancienne et emploi de nouveaux appareils. Ainsi, par exemple, les différentes parties sont travaillées et forgées séparément, de manière traditionnelle, puis soudées à l’électricité. Ce qui diminue le coût de la fabrication.
La pièce en fer forgé par excellence qui peut être sans crainte utilisée dans les bâtiments aussi bien anciens que nouveaux est l’anneau de porte dit kerkéli. Nous avons donc comparé sa fabrication, selon la méthode traditionnelle et au moyen d’outils fonctionnant au courant électrique. D’un point de vue esthétique, le kerkéli réalisé selon la seconde méthode est moins réussi : finition médiocre du pourtour, travail moins délicat de la rosette, suppression des pointillés et des motifs savants, absence de combinaisons de formes telles que celles du trou de serrure, de la griffe de fixation etc, manque d’harmonie et d’équilibre…. La différence est flagrante.
Nous proposons donc que ces objets soient fabriqués à l’ancienne, même s’ils coûtent ainsi un peu plus cher. Pour «briller», ils ont besoin des mains et de l’âme de l’artisan qui, travaillant le fer, parvient à créer de petits chefs-d’œuvre d’inspiration et de technique.